le
Hommaji
Moi, M. Jouliot, je ne l’ai jamais aimé. Papa et maman non plus, d’ailleurs. Ils disaient toujours que M. Jouliot, c’était vraiment un… Non, ça je n’ai pas le droit de le dire. Enfin, si, je peux le crier dans ma tête si je veux, ou avec les copains, mais sinon, c’est interdit. Mais je sais qu’il le méritait, ce vilain nom. Déjà, il ne disait pas bonjour quand on le croisait en sortant de la maison, pour aller à l’école, ou partir faire les courses. Ensuite, il était toujours en train de râler, et une fois, il a même juré qu’il empoisonnerait le chien ! Et puis, papa et maman disaient qu’ils pouvaient bien l’appeler comme ils voulaient, parce que c’est un col-la-bo. Moi, je n’étais pas né, quand il y avait encore la guerre, mais je sais que collabo, c’est mal. Ça veut dire qu’il était copain avec les méchants, et je ne comprends pas du tout pourquoi quelqu’un voudrait aider les méchants, mais M. Jouliot il l’a fait, et à cause de ça, lui aussi était un méchant.
Alors un jour, à l’école, Maixent est arrivé fier comme un pou. Je ne l’avais jamais vu comme ça Maixent. Il a passé toute la leçon du matin à nous jeter des regards avec ses yeux tout plissés… Ça voulait dire qu’il avait quelque chose de vraiment terrible à nous montrer.
À la récré, enfin, on a découvert son grand secret : des pétards ! C’était son tonton qui lui en avait fait cadeau pour son anniversaire, discrètement. Il lui avait chuchoté de ne pas en parler à ses parents. Mais il n’avait rien dit sur les copains ! Ça, c’est un chouette cadeau. Tous les copains se sont mis à parler en même temps.
– Et si on faisait exploser des crapauds ?
– Hein ? Mais c’est dégoûtant ! Venez, on fait plutôt exploser des crottes de chiens !
– Mais non, on se cache dans le terrain vague et on les jette pour faire peur aux passants !
C’étaient toutes de très bonnes idées, à mon avis, mais j’en avais une autre, une idée terrible, et j’étais sûr qu’ils seraient d’accord avec moi.
– Non. On va faire exploser la boîte aux lettres du collabo.
– Le vieux tout rabougri ?
– M. Jouliot ?
– Il a au moins cent cinquante-ans, celui-là !
– Moi je vote pour l’idée de Nicolas !
– Oui, la boîte du vieux collabo !
Et c’est comme ça qu’après l’école, tous les copains ont pris le même chemin que moi, pour aller mettre un pétard dans la boîte du méchant M. Jouliot. On s’est tous cachés derrière une voiture, en face de la maison de l’ennemi, et les copains ont dit : « Vas-y Nicolas, c’est toi qu’as eu l’idée, à toi l’honneur ! » Alors moi j’ai dit : « Ouais, ce sera bien fait, et puis j’espère qu’il va mourir, parce qu’il veut tuer mon chien ! », et j’y suis allé. Heureusement, M. Jouliot était caché chez lui, je n’aurais pas aimé le croiser ! Je me suis approché tout baissé, discrètement, j’ai allumé la mèche avec une allumette, j’ai glissé le pétard dans la boîte, et je suis reparti me cacher en courant.
Ça a fait un gros boum ! Puis il y a eu des petites flammes qui se sont échappées de la fente, et on a bien rigolé. Maixent avait même des larmes qui coulaient sur ses joues, et moi, j’avais mal au ventre à force d’être plié en deux. C’était terrible ! Vraiment, une chouette après-midi.
Le lendemain, quand je suis rentré de l’école, papa et maman étaient tout sourires. J’ai demandé :
– Maman ? Pourquoi vous avez l’air tout contents, avec papa ?
– Mon chéri, en général ce genre de nouvelle est malheureux, mais aujourd’hui, ce n’est pas si triste. C’est M. Jouliot, le voisin, il est mort dans la nuit.
– Il avait quatre-vingt-seize ans, une crise cardiaque, sûrement, a ajouté papa.
– La maison va être à vendre, c’est certain !
– Je pourrais vite en informer ma sœur, je suis sûr que c’est exactement ce qu’elle recherche !
– Mais tu voudrais qu’elle vive dans la maison d’un collabo ? s’exclame maman, l’air indignée.
Et ils repartent dans leurs discussions de grands qui ne finissent jamais.
– Va jouer dehors avec le chien, Nicolas.
Toujours la même histoire.
Mais, moi je savais maintenant quelque chose qu’ils ne savaient pas. J’avais un grand secret. Parce que moi, je savais ce que j’avais dit, avant de mettre le pétard dans la boîte la veille. Et dans cette histoire, s’il était le méchant, moi, j’étais le gentil. Et j’avais un très grand pouvoir ! Il me tardait de le raconter demain aux copains !