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Modern Love
– Ah merde, c’est drapeau rouge, on va pas pouvoir se baigner !
– Dommage ! Mais vu la taille des vagues, j’aurais pas envie d’essayer. On monte au phare ? Le fracas des rouleaux contre le sable et les digues les force à élever la voix.
– Faut que je te raconte un truc. Mais d’abord, c’était comment, avec ta famille ? Côté mer, un morceau de bois otté remonte tant bien que mal à la surface, avant de se refaire absorber dans le bouillon continuel de l’écume. Les vagues se brisent sans répit.
– Bon. Voilà. On s’est revus, lui et moi. En n, c’était la semaine dernière. Et depuis, on n’arrête pas de se parler. Par textos.
– Génial ! Vas-y, raconte, il s’est passé quoi ? Elles traversent à contre-sens un ot de promeneurs qui lent s’attrouper derrière la barrière du chemin côtier pour contempler le spectacle. Des odeurs de sucre et de friture se mêlent à l’iode rapportée par le vent de mer.
– Mais donc, c’était la première fois que j’avais autant envie de revoir un gars rencontré sur une appli. Et le trac, aussi.
– Et c’est tout ?
– Bah oui, c’est tout ! Il s’est rien passé, je te dis. Sinon, j’aurais commencé par ça.
– J’avoue. Côté terre, les vacanciers au bord de la piscine du grand hôtel s’éveillent tout à coup. À part pour ses basses, une musique d’ambiance peine à percer l’air. Des animatrices en maillot vert entament une chorégraphie.
– En gros, on s’entend super bien, il me plaît de fou, mais je sais pas. J’arrive pas à le lire.
– Peut-être que lui non plus, il sait pas ? Elles s’engagent sur la côte qui les ramènera en haut de la falaise. Les embruns s’élèvent comme un brouillard salé, et viennent leur piquer les joues. On dirait qu’il pleut.
– Un coup c’est chaud, un coup c’est froid. Un coup je suis le centre du monde, et un coup j’ai l’impression d’être juste une pote. Les sacs de plage commencent à leur peser sur l’épaule. Leurs tongs claquent et glissent contre leurs plantes. Le volume de leur voix s’abaisse à mesure que leur sou e s’accélère. Bientôt en haut.
– Peut-être qu’il faut que tu le lui dises ? Que tu lui poses la question ?
– Non ! T’imagines, si je me faisais des idées ? La honte. En même temps, la dernière fois, tu vois, il m’a prise dans ses bras, ça a duré quelques secondes, mais c’était comme une éternité.
– Ça te met d’humeur poétique, dis ! En haut. Une voiture passe à toute vitesse sur la chaussée. De l’autre côté, l’océan et le ciel se confondent un peu plus. C’est toute la palette des gris qui s’expose sur une immense toile.
– Je crois que je suis amoureuse.
– Ah bon ? J’aurais pas dit.
– Oui bah écoute hein, on voit ce qu’on a envie de voir. Ah, qu’est-ce que je vais faire ?
– À mon avis… Derrière les manoirs trop grands pour ne pas avoir l’air de caprices d’enfants, le phare entre en vue. Des goélands se posent sur son toit.
– Tu sais, aussi, une fois, il m’a attrapée par la taille et…
– Écris-lui. Il est là, en ce moment, non ? Redonne-lui rendez- vous et fais quelque chose ! Deux enfants passent en se courant après et manquent de les bousculer. Le trottoir se change en allée de sable qui crisse doucement sous leurs pieds.
– Qu’est-ce que je lui dis ? « Euh oui donc, juste, euh, en fait, je t’aime ». C’est pas comme ça que ça marche !
– Mais non ! Le vent si e, tourne et soulève de l’écume presque jusqu’au haut de la falaise. Au loin, un porte-conteneurs fait son chemin.
– Ça me fait l’e et d’un saut dans le vide ! J’ai envie d’y aller, ça m’attire, sauf que j’ai trop peur de la chute.
– Allez, tu vas pas vivre éternellement dans le doute. Embrasse-le, parle-lui, mais fais quelque chose.
– Comment tu crois qu’il va réagir ?
– Je suis pas dans sa tête. Mais si tu veux mon avis, je pense que t’as tes chances. Fonce ! Au bord de l’à-pic, le vert et le gris se scindent brusquement. Les vagues en bas semblent venir à la fois de la terre et du large. Le porte-conteneurs n’est plus qu’un point, seul et unique indice de l’horizon.
– T’approche pas trop, quand même !
– Oh !
– Quoi ?
– C’est lui ! Qui m’écrit.
– Alors ?
– Il dit qu’il voudrait me voir. Ce soir. Chez lui.
– Ah ! Bonne nouvelle !
– Oh mon Dieu. J’ai dit d’accord.
– Qui sait ? Peut-être que c’est pas toi qui auras à te jeter à l’eau la première.