le
Nouvel Âge
– Qu’est-ce que tu vas faire, si on ne trouve pas le traitement à temps ?
– On va y arriver. Regarde, les derniers tests étaient concluants.
– Et qu’est-ce que tu vas faire s’il refuse de le prendre ?
– Tu le fais exprès ou quoi ? Tu veux achever de me déprimer ? Tu veux que je laisse tomber ?
– Non, c’est juste que je m’inquiète pour toi. Le risque est non négligeable. Avec la position qu’il a en plus, depuis les nominations…
Mel a raison. Depuis l’avènement prétendu de l’ère du Verseau, Basile s’était mis peu à peu à perdre pied, à abandonner la réalité. Mais maintenant, sept ans après, il vient d’être nommé Guide de l’Élévation, avec pour mission principale de mener l’humanité (un grand mot pour dire les Français, pour l’instant) vers un état supérieur où le corps ne connaîtrait plus le mal grâce à un travail énergétique qui…
Alors qu’une pandémie s’est déclarée.
Une épidémie d’une nouvelle maladie respiratoire, à la période d’incubation longue de plusieurs mois, et au développement lent, insidieux, qui la rend difficile à détecter.
Basile tousse.
Il est loin, le temps où je rentrais du travail, je l’appelais et on se retrouvait, pour dîner au restaurant, boire un verre, où je me plaignais des dernières expériences faussées par telle ou telle erreur d’inattention, et lui s’enthousiasmait sur ses idées d’avenir. Le temps où notre idée du futur, c’était un cocon pour nous deux, un refuge loin du monde où se ressourcer pour un jour changer le monde à notre image.
Le monde, lui a bien changé. Et Basile avec. Moi, je n’ai rien vu venir. Je n’ai pas su. Mais petit à petit, il m’a filé entre les doigts. Comme tout le monde, il a accueilli à bras ouverts la solution miracle : nous avons tous les remèdes en nous. La politique nous ment. La science nous ment. La réalité nous ment.
Or Basile tousse.
Ça, il n’a pas pu le nier. Pendant deux mois j’ai cru voir son état se détériorer, très discrètement, mais j’avais raison. Lui méditait, hyperventilait, regardait dans les astres et affirmait ne s’être jamais mieux senti que ces derniers temps. Que la maladie ne l’atteindrait pas, lui, l’enfant indigo, né pour guider les autres. Mais il a été forcé de reconnaître qu’il avait été contaminé, quand les quintes de toux ont commencé, qu’il s’est mis à être essoufflé en montant les escaliers. Au diable les séances de reïki, de médecine quantique et de mantras répétés cent fois tous les matins ! Basile va mourir.
Il va mourir si ce dernier traitement que l’on teste, Mélanie, le reste du labo et moi, ne fonctionne pas. Si ce n’est pas le bon, ce sera trop tard. Et depuis que ce putain de gouvernement du Verseau est aux commandes, on n’a plus rien. Plus de ressources. Plus d’existence. Allez développer le médicament contre le mal qui menace le monde entier dans un laboratoire clandestin !
Et puis, si on y arrive, acceptera-t-il de le prendre ? M’abandonnera-t-il, quand je lui proposerai, et qu’il comprendra ce que je faisais tout ce temps ? Que mon labo n’a pas fermé, que je continuais à m’adonner à ce qu’il méprise le plus aujourd’hui ?
Mais qu’est-ce que je vais faire, sans lui ? Il est loin, le monde d’avant, mais pas l’homme que j’ai aimé. Que j’aime encore. Ce traitement, c’est un remède contre la maladie, mais c’est aussi le salut de mon couple, et je crois que je m’accroche à cette idée dur comme fer. Que quand il le prendra, quand il guérira, il reviendra à la raison. Il abandonnera les planètes et les pierres, il me prendra dans ses bras, il m’embrassera, il me dira « Pardonne-moi, le monde est devenu fou et moi avec, mais je suis là, maintenant ».
Je ne parle plus qu’à mes collègues, et à Basile, le soir, en général pour me faire reprocher d’avoir cuit mon dîner, alors que la nature fait si bien les choses, nous présente les aliments tels qu’ils devraient être consommés, et que seul l’instinct devrait nous guider. Plus que la colère, c’est la peur et la peine, la tristesse de voir où l’angoisse l’a fait plonger, lui et les autres. Le monde est fou, et nous sommes seuls.
– Charlie ! Charlie ! Les données sont là !
– Quoi ? J’arrive.
– Les souris, elles…
– Plus de traces du virus !
– Elles sont guéries !
– Mel ! Tu crois que… Il va nous falloir des patients, on passe aux essais cliniques !